Zoom sur un monument aux morts unique dans le cambrésis
- boulangerc2
- 13 nov. 2015
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Dans le cadre des commémorations de ce mercredi 11 Novembre, nous avons prêté davantage attention aux monuments aux morts, trop peu évoqués lors des cérémonies. C’est l’histoire du monument aux morts de Sailly-lez-Cambrai que nous allons retracer.

Après la Grande Guerre et ses nombreuses victimes, chaque commune fait ériger un monument en l’honneur de ses enfants disparus. Le culte du souvenir est ainsi marqué par la présence du monument au mort, placé en évidence près de la mairie ou de l’église. Contrairement aux autres commémoratifs commandés sur catalogue à l’époque, celui de Sailly-lez-Cambrai ne l’est pas “En cela, il est unique” déclare Florence Albaret Gilson, directrice du pôle des affaires culturelles et animatrice de l’architecture et du patrimoine du Cambrésis.
Le monument fut sculpté par un statuaire de l’époque et édifié en 1923. Pourtant, nombreuses sont les démarches antérieures à ce projet. Le 24 Juin 1920, le maire de Sailly-lez-Cambrai, Auguste Hecquet, déclare qu’il est nécessaire de revenir sur la décision prise par l’Admisnistration au sujet de l’édification d’un monument commémoratif.

A l’unanimité, c’est le projet de Robert Delandre que l’Assemblé retient le 26 janvier 1922. Le monument aux morts de Sailly-lez-Cambrai s’élève à environ deux mètres. Le matériau utilisé est la pierre dure de Chavigny .Le choix du lieu n’est pas innocent, « les monuments sont des œuvres sculptées, construites, qui tiennent une place spécifique dans le paysage rural ou urbain » affirme Annette Becker dans l’ouvrage 14-18, retrouver la guerre, édition Gallimard, 2000. Le monument est situé à l’entrée du cimetière, situé, lui, au-devant de l’église.
Lors de son édification le monument se confondait avec les tombes d’où le choix du maire de le valoriser. Il demande donc à ce que le monument soit surélevé, chose rendue possible grâce à la construction de marches menant directement au monument sans passer par l’entrée légitime, celle du cimetière. Toutefois, la distinction entre les deux « lieux » n’est toujours pas naturelle. Pour que cela le devienne, le maire décide de construire une grille autour des marches menant au monument, créant ainsi une frontière entre les deux lieux.
Outre le fait qu’il soit situé à l’entrée de l’église, il présente l’avantage d’être sur un carrefour. Ainsi il est visible de la mairie, de la cour de l’école, de l’église et bien entendu, de la route principale. Le monument évoque les deux Guerres mondiales, mais également la guerre d’Algérie. Le classement des noms est alphabétique, plusieurs noms réapparaissent. On note la présence d’une photo d’un des soldats sur une plaque funèbre, celle de Deloffre. Le classement se situe sur la face droite du monument, dans la continuité du geste de l’enfant. L’inscription du monument est la suivante :

Delandre a su associer plusieurs signes appartenant à divers domaines pour aboutir à une interprétation et une représentation uniforme. Auparavant, intéressons-nous au classement des victimes. Le classement s’effectue par ordre alphabétique. Plusieurs statuaires valorisent cet ordre dans la mesure où il prouve que chacun est égal devant la mort, Annette Becker déclare que « l’ordre alphabétique renforce l’uniformité ».

Toutefois elle mentionne également que ce classement par ordre alphabétique peut aussi redonner vie aux défunts, « les noms rappellent les individus, leur redonnent existence » (14-18, retrouver la guerre, édition Gallimard, 2000). Les inscriptions sur les monuments aux morts sont un hommage aux soldats disparus. Est inscrit dans la pierre le mot « enfants », ce mot désigne d’une façon affectueuse, tous les jeunes hommes habitant la commune. Ce nom est précédé de l’adjectif « glorieux », afin d’accentuer la gloire.
D’après Antoine Prost, par de telles inscriptions le monument est purement patriotique ( « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique », sous la direction de Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Tome I, Paris : Gallimard, 1984). De plus la situation du monument correspond au critère des monuments patriotiques que Prost fait dans son analyse.
Les symboles représentés sur le monument aux morts de Sailly appartiennent à plusieurs domaines.

Commençons par les éléments végétaux. Nous avons pu le voir, une gerbe, une couronne de laurier, un chêne fusionné avec un pommier sont présents.Ces symboles expriment le plus souvent le deuil (la gerbe évoque la mort) mais aussi l’éternité, la régénération permise par la mort (les pommes murissent, le chêne lui représente la longévité mais aussi la force et la puissance). Cette régénération peut être également comprise comme celle de la patrie, la gerbe évoquant la mort est sur le point d’être taillée par la faucille, signe à la fois de colère car le défunt n’est plus, mais signe également de renouveau et de victoire. Par ce geste se dégage la supériorité de la génération laissée sur la mort. Signe que cette génération se battra contre la guerre, contre cette horreur. La faucille à elle seule symbolise le cycle des moissons qui se renouvellent : la mort et l’espoir des renaissances. La feuille de palmier, les couronnes de fleurs sont distribuées aux vainqueurs, aux héros comme c’est le cas ici pour notre soldat, notre héros. Mais l’interprétation de ces végétaux sculptés peut être double, ils peuvent être symboles de deuil car c’est avec ces sortes de végétaux que l’on fleurit la tombe de tous les morts à la Toussaint. Les palmes ,elles, sont symbole du martyre. Toutefois c’est aussi un symbole de la victoire depuis les jeux olympiques dans la Grèce antique. Le laurier étant positionné en couronne est symbole de victoire. Le blé représenté en gerbe représente la jeunesse de France (les soldats) qui a été fauchée dès l’été 1914 au moment même des moissons.
Les symboles patriotiques et militaires sont également présents. Ils empruntent à la fois au langage symbolique (la couronne de laurier, la croix de guerre, même si celle-ci était également une décoration militaire réelle) et au langage figuratif (ici le médaillon). La croix de guerre est une médaille donnée à un soldat pour des actes de bravoure et d’héroïsme.

Ici, cette croix est présentée par l’enfant, représentant le peuple. Il y a donc par ce geste, reconnaissance de la commune, de la Patrie pour les actes des soldats français. Dans un pays récemment laïc (la séparation de l’Eglise et de l’Etat entre en vigueur en 1905) cette croix permettait également de manière indirecte d’avoir un élément “catholique” sur le monument. Parfois la croix de guerre est accolée à la légion d’honneur. Le soldat à lui seul, représente la guerre. C’est un rappel guerrier pour indiquer que les noms qui figurent sur le monument sont tous des poilus, c’est-à-dire des soldats morts dans l’exercice de leur rôle de soldats. Ce poilu désigne aussi le “soldat inconnu” car il ne représente personne en particulier mais tous en général. La présence de l’enfant témoigne de la peine de toutes les familles. Il est habillé costume traditionnel de la région pour désigner chaque habitant.
Le monument aux morts de Sailly-lez-Cambrai présente deux particularités, la première est que ce monument soit délimité. Les monuments ont une forme de délimitation ayant pour objectif de donner un caractère “sacré” -au sens républicain du terme- à la “terre de France”, celle pour laquelle les soldats ont combattu. Ce monument n’est pas un cénotaphe. En effet, y sont enterrés « cinq soldats des guerres 14-18 et 39-45 » affirme Emile Watel, secrétaire général de l’Association départementale des anciens combattants. D’où la présence de cette pierre tombale destinée à Deloffre. « Mon grand-père et mon père sont enterrés sous le monument » explique Mr Delseaux, adjoint au maire de Raillencourt –Saint-Olle (commune voisine de celle de Sailly). La commune n’a pour l’instant reconnu que quatre de ces soldats : Delseaux Pierre (1939-1945) Delseaux Jules (1914-1918) Deloffre Bernard (1939-1945) Faldor Jules (1939-1945) Outre le fait qu’il soit sculpté, le monument présente une autre caractéristique.. En plus d’être un lieu de mémoire, le monument de Sailly est également un lieu funéraire, lieu de recueillement.

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